SNOOPY
French Cucul
Alessandro Mercuri __ 14 octobre, 2012
French Cucul
une passion française

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photomontage de l'auteur
 
 
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LA FAUX ET LE MARTEAU
 
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Si 1969 fut en France une année érotique, 1995 fut crépusculaire. François Mitterrand achève son deuxième mandat présidentiel, usé par le pouvoir (14 ans de présidence), usé par la maladie (14 ans de cancer), usé par les scandales et de lugubres disparitions (2 suicides par balle).
 
Le premier décès advient un 1er mai, en 1993, jour de fête internationale des travailleurs. La mort ne chôme pas, elle ignore les jours fériés. Extérieur jour : une détonation et un éclair de lumière jaillissent d'un saule pleureur. Un nuage de fumée de revolver flotte sur le canal de Nevers. Pierre Bérégovoy, premier ministre de François Mitterrand, est retrouvé mort au bord de l'eau.
 
Intérieur nuit, un 7 avril 1994 : François de Grossouvre, conseiller du président est retrouvé mort dans son bureau du palais de l'Élysée. De jour comme de nuit, les balles sifflent, les balles fusent, les balles pleuvent et souvent finissent leur course au cœur d'une boite crânienne.
 
Le 13 mai 1993, quelques jours après le suicide de Pierre Bérégovoy, une prise d'otage dans une école maternelle de Neuilly-sur-Seine fait la une des journaux. Endormi, le preneur d'otage, surnommé Human Bomb est finalement abattu de trois balles tirées à bout portant dans la tête. L'heureux dénouement transforme la prise d'otage en opération de communication à succès. Sous les feux de la rampe médiatique, Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly, ministre du budget et porte parole du gouvernement, irradie et savoure sa réussite. La suite est connue.
 
Au pays du charme discret de la bourgeoisie, la saison de la chasse et des trahisons démarre au mois d'avril 1995 lors du premier tour de l'élection présidentielle. A défaut d'un suicide politique, Nicolas Sarkozy prépare sa traversée du désert. Celle que Guy Mollet décrivait comme "la droite la plus bête du monde" ne connait pas encore le concept d'élection primaire. Chirac et Balladur, deux candidats d'un même parti se présentent au suffrage universel. L'un tombe à l'eau. Qui reste ? Déloyal envers son mentor, Nicolas Sarkozy préfère Édouard Balladur à Jacques Chirac qu'il trahit tout comme Jacques Chirac avait trahi en 1981 Valéry Giscard d'Estaing en faisant élire François Mitterrand, qui lui-même avait trahi... l'éternel retour de la félonie.
 

Jacques Chirac (1988)
 
Jacques Chirac monte au firmament présidentiel. Nicolas Sarkozy trébuche, chute et tombe en disgrâce. La malédiction chiraquienne se perpétue. Ainsi l'ex-président Chirac affirma qu'il voterait à l’élection présidentielle de 2012 pour le candidat socialiste François Hollande. Provocation sincère, lapsus, choix personnel, marque d'une certaine sénilité ou preuve certaine d'anosognosie ? Selon un rapport médical rendu public en 2011, Jacques Chirac souffrirait d'anosognosie, un mal neurologique dont le malade n'aurait conscience. Contrairement au malade imaginaire qui se croit malade alors qu'il est sain, la personne atteinte d'anosognosie, elle, ignore être malade. La conjonction "nosos-gnosis" ou "maladie-connaissance" est un néologisme médical à sens unique. Maladie de la connaissance sans conscience de sa maladie... n'est que ruine de l'âme. L'anosognosie, comme l'agnosticisme nous promènent sur les voies impénétrables de l'Esprit et du cerveau. L'anosognosie serait-elle un déni de réalité là ou l'agnosticisme est un déni de croyance ? Les politiques nous plongent parfois dans des affres de paradoxes et de délicieux abysses d'absurdité. Si Georges Clémenceau a pu affirmer en 1886 que : "La guerre ! C'est une chose trop grave pour la confier à des militaires.", on pourrait, comme l'on file une métaphore, mettre la boutade en enfilade et poursuivre : "La politique est une chose trop grave pour la confier à des politiques." Mais en appliquant le même raisonnement à toute la société, bien vite elle s'en trouverait chamboulée. "Le pain ! C'est une chose trop grave pour le confier à des boulangers. Les services publics ! C'est une chose trop grave pour les confier à des fonctionnaires. Et ainsi de suite : La littérature ! C'est une chose trop grave pour la confier aux écrivains... littérateurs de littérature."

 
 
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"L’ESSENTIEL EST BIEN DE LEUR DIRE CE QU’ILS PENSENT
AU MOMENT OÙ ILS LE PENSENT."
 
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Printemps 1995 : au seuil de sa traversée du désert, Sarkozy tel Moïse, saisit son bâton de pèlerin, voire de pestiféré. Été 1995 : le journal Les Échos publient une série de 24 lettres, signées Mazarin, intitulées "Les Lettres de mon Château". La page du journal est surmontée de la mention FICTION. Mieux vaut être prudent. "Depuis son arrivée à l'Élysée, Jacques Chirac a beaucoup écrit et reçu de nombreuses lettres. Tout le monde s'adresse à lui : ses amis, ses ennemis, ses proches comme ses adversaires. Un de ses fidèles, homme de l'ombre et de pouvoir comme l'était Mazarin, a compilé cette correspondance historique." nous précise-t-on au début de chaque nouvelle correspondance. Nouvellement élu président, Jacques Chirac converse avec ses prédécesseurs vivants ou mort, François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing, Charles de Gaulle ; des chefs d'État étrangers comme Bill Clinton et Omar Bongo.


 
 1ère Lettre de mon Château, confidence épistolaire de Mitterrand à Chirac : "Mais cessons de parler de moi, c’est de vous et de la France que je voulais vous entretenir. D’abord bravo, je vois que vous connaissez bien nos compatriotes : ils n’ont absolument aucune mémoire : je l’ai vérifié si souvent. L’essentiel n’est pas de leur dire des choses importantes, ou vraies ou justes, ils s’en moquent. L’essentiel est bien de leur dire ce qu’ils pensent au moment où ils le pensent. L’exercice est plus difficile qu’on ne le croit tant ils changent rapidement. Je croyais être un maître en la matière vous êtes en train de m’en remontrer. Continuez ainsi. C’est le bon chemin."
 
Séducteur, French Lover et bon buveur, le président s'entretient également avec sa grande amie Line Renaud, ex-meneuse de revue à Las Vegas et Charles Pasqua, patibulaire ministre de l'intérieur, ex-n°2 du groupe de spiritueux Pernod-Ricard. Avec Jean Tibéri, nouveau maire de Paris, dont il fut lui-même maire pendant près de 20 ans, il évoque la possibilité de scandales à venir. Deux mandats présidentiels plus tard, en 2011, l'inconcevable se produit. L'ancien président Jacques Chirac est condamné pour détournement de fonds publics à une peine de deux ans de prison avec sursis.
 

Elvis Presley, Line Renaud & Edward G. Robinson à Las Vegas, 1968
 
Ainsi dialogue le chef d'État avec de nombreuses personnalités politiques, syndicaliste et anciens ministres. Les détails croustillants et cruels abondent. Le monde servile de la Cour républicaine est dépeint avec ironie. Le louvoiement et la flagornerie, la haine et la rancœur coulent à flot dans un torrent d'amertume. La bravoure y est cynique et le mépris ordinaire. Au royaume des courtisans, carpettes et courbettes sont la règle. Quel est donc le véritable rédacteur de ces lettres, caché derrière le pseudonyme de Mazarin ? Un conseiller de l'ombre, un haut fonctionnaire, un homme politique à l'esprit vachard ou revanchard ? La 16ème lettre révèle un échange épistolaire entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
 

Jacques Chirac & Nicolas Sarkozy (1976?)
 
Monsieur l’ancien Ministre et cher Nicolas,
Après bien des hésitations je me suis résolu à t'écrire. Je t'en voulais tellement que je n'arrivais pas à prendre la plume. Je n'avais rien envie de te dire, sinon de mauvaises choses, ou même des injures. Je t'en voulais tellement que j'aurais même pu t'étrangler de mes propres mains. (...) Oui, je n'ai toujours pas compris la dose d'aveuglement, de bêtise et d'entêtement qu'il t'a fallu pour te tromper à ce point. Et, de surcroît, contre toute évidence, alors que j'avais gagné, tu t'entêtais et tu t'enferrais davantage encore. Ce n'était plus une noyade, tu étais devenu un naufrage à toi seul."
 
Quelle est cette plume qui dépeint avec tant de ferveur le naufrage sarkozien ? En 2004, près de 10 ans après la parution des Lettres de mon Château, l'auteur se dévoile. Le masque de Jules Mazarin tombe. L'identité du cardinal, "premier ministre" du royaume de Louis XIII et de Louis XIV, nous est révélée. L'épistolier avoue. Il a pour nom Nicolas Sarkozy. Jules Mazarin est Nicolas Sarkozy.




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DES RIDICULES INFORTUNES DE LA VERTU
 
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Depuis qu'il eût avoué être l'auteur de la correspondance fictionnelle de Jacques Chirac, le faux Mazarin, Sarkozy n'a eu de cesse de remettre sur le devant de la scène politique le XVIIème français. En 2006, à Lyon, ville ou naquit en 1529 le chancelier de France Pomponne de Bélièvre, puis en 1771 le député Sauveur Scherlock, au cours d'une réunion avec des fonctionnaires, Sarkozy blasphème : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur “La Princesse de Clèves”. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de “La Princesse de Clèves”... Imaginez un peu le spectacle ! » Deux ans plus tard, une fois élu président, Sarkozy réitère : « (...) La Princesse de Clèves. J'ai rien contre, mais... bon, j'avais beaucoup souffert sur elle. » La saillie sarkoziste choqua le monde des enseignants, la classe médiatique et la caste intellectuelle.
 
On entendit jusque dans les campagnes mugir un troupeau d'écrivains effarouchés et d'intellectuels en dentelle. De quel droit ce président roturier tout droit sorti d'un roman de Balzac pouvait-il se permettre de dénigrer La Princesse de Clèves (1678) et ses lueurs envoutantes ?  Fort heureusement, si le président blâma l'œuvre de Madame de la Fayette, on ne vit jamais Sarkozy faire l'éloge de Molière. On aurait alors entendu résonner en chœur la clameur des Tartuffes et Précieuses ridicules.
 
Reprenant la formule de la vestale des lettres Annie Ernaux exprimée à l'encontre de Richard Millet (Le Monde, septembre 2012), on pourrait dire que ces propos sarkoziens entendus "dans un mélange croissant de colère, de dégoût et d'effroi déshonorent la littérature et exsudent le mépris de l'humanité". L'indignation fut donc nationale, engagée, solidaire et citoyenne quand le chef d'État révéla son manque d'enthousiasme pour l'œuvre de Madame de la Fayette. Dans quelle infamie, horreur et déshonneur dignes du Marquis de Sade, Sarkozy plongea-t-il la Comtesse, née Marie-Madeleine Pioche de La Vergne ? Tel sa tante hongroise Élisabeth Báthory, Comtesse sanglante et ogresse des Carpates, tel son cousin roumain Țepeș, le vovoïde de Valachie Vlad l'Empaleur, le président d'origine hongroise Sarközy de Nagy-Bocsa aurait soumis la Comtesse de la Fayette à l'indescriptible et l'innommable, aux pires sévices qui soient.
 

Portrait de Lucrezia Panciatichi - Bronzino (1545)
référencé sur internet comme étant Élisabeth Báthory
 
On raconte que lors d'un diner durant l'hiver 1654, François de La Rochefoucauld présenta au cardinal Mazarin, le peintre Nicolas Poussin et l'écrivain Madame de la Fayette, alors Mademoiselle de La Vergne. Regardant le peintre puis s'adressant à la jeune comtesse, on prête à Mazarin ces propos rapportés par le duc de La Rochefoucauld: "Vous peignez les méandres amoureux comme je conduis la politique de notre royaume, avec courbes et détours, ruse et duperie."
 

Buste de Mazarin - Louis Lerambert (XVIIème)
 
Sous le règne de Sarkozy, présidence anormale, incorrecte et indigne pour président inculte, illettré et amoureux de variété (dixit la doxa), certains révèrent d'exil. D'autres franchirent la ligne de démarcation, rejoignirent la France Libre et ses maquis, sabotant de leurs écrits l'infâme et vil Sarkozy. Leur croix de guerre portée en boutonnière était un badge bleu rempli d'espérance et d'azur où l'on pouvait lire en signe de ralliement : "Je lis la Princesse de Clèves". Leur devise : protéger l'honneur du pays et affronter au mépris du ridicule l'abjection des noirs projets sarkoziens. Nos valeureux et vertueux résistants, à la mine sévère, la tête haute, les fesses serrées, la plume bien droite plantée entre les deux lobes du derrière, proclamèrent leur indignation face à tant de provocations. Les plus intrépides, psalmodièrent et s'offensèrent des outrances du Félon de France.
 

 
En cette terre riche et fertile, Marianne est une muse maternelle à la poitrine généreuse, aux lèvres sensuelles d'où s'écoulent des paroles, des murmures, des soupirs républicains... d'hydromel et d'ambroisie. La création y coule de source, les poèmes sont des torrents, les romans des rivières. La liberté y est gratuite, l'égalité laïque et la fraternité obligatoire. Au pays de l'exceptionnelle exception culturelle, tout n'est que splendeur, amour et beauté ; des Beaux-Arts pompiers aux Belles-Lettres pompeuses, l'indignation est lyrique et la révolte cucul grandiloquente. Quoi de plus fatigant que les éructations ou l'agitation permanente de Sarkozy, ses tics physiques et verbaux si ce n'est l'anti-sarkozysme pavlovien, à fleur de peau, à l'hystérie poussive, aux discours convenus et laborieux. Car tout ce que touche Sarkozy est sali. Ce Président vulgaire, répète-t-on à foison, a taché, violenté et souillé l'image de l'État, le drapeau et l'identité d'une nation, les symboles et l'idéal de la France. Mais à la décharge de Sarkozy, l'expression de "carte de France" ne désigne pas seulement une projection cartographique mais aussi une tache nocturne de sperme souillant de sa lactescence la blancheur des draps.


Marianne - Brigitte Bardot - Aslan (1969)
 


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"LA FRANCE, ELLE SE DONNE À CELUI QUI A LE PLUS ENVIE D'ELLE."
 
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Objet de fantasme et de répulsion, ce président que l'on adore haïr est le premier à être mis en scène et fictionnaliser durant son mandat. Au storytelling politique répond la fiction cinématographique. "La Conquête" sort sur les écrans français en 2011. Le film retrace la campagne et l'ascension présidentielle de Sarkozy. On y découvre le candidat en compagnie de son rédacteur de discours, Henri Guaino, en séance de brainstorming, s'écrier et mimer sexuellement en un mouvement du bassin : "Je dois mettre mes tripes sur la table. Je dois montrer que la France, je la veux. La France, elle se donne à celui qui a le plus envie d'elle." Bien que trois siècles ne les séparent, rappelons que l'acteur de films porno Rocco Siffredi et le cardinal Mazarin, Giulio Mazarini, sont voisins, tous deux nés dans la région italienne des Abruzzes, à Pescina pour le prélat, Ortona pour la star du porno. Une telle coïncidence ne doit rien au hasard pour ceux qui considèrent Sarkozy comme l'apôtre de l'obscénité libre-échangiste et de la pornographie néo-libérale. Mais Mazarin n'est qu'un nom de plume et "toute ressemblance avec des personnages réels n’est que pure coïncidence".
 

Giulio Mazarini - Pierre Mignard (1661)
Rocco Siffredi in Le Marquis de Sade - Joe D'Amato (1994)
 
La fausse lettre signée Mazarin, écrite par le vrai Sarkozy, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy est suivie d'une réponse de l'élève au maître. Se dédoublant, schizophrène, Sarkozy dans le rôle de son propre nègre, s'y auto-parodie. Faut-il encore distinguer comme le prétend la théorie littéraire, l'auteur du narrateur ? "Si étonnant que cela puisse paraître, je n'ai jamais cessé d'être chiraquien. Je l'ai été en suivant scrupuleusement votre exemple. Car enfin, il y a quelque injustice à me reprocher de vous avoir trahi. Vous étiez bien membre de la famille gaulliste quand vous avez trahi Jacques Chaban-Delmas pour Valéry Giscard d'Estaing. Et quand il a fallu trahir Giscard, avez-vous hésité à le faire alors même qu'il avait fait de vous son Premier ministre ? Je suis le seul à avoir suivi aussi scrupuleusement votre exemple. Va-t-on m'en vouloir de cela ?"
 

Sarkozy en Camargue - Philippe Wojazer/Reuters (2007)
 
Photomontage d'après Sarkozy en Camargue - Philippe Wojazer/Reuters (2007)
 
 
 
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SARKOZY et SARKOZY est SARKOZY
 
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Le règne de Sarkozy fut pour certains celui du chaos et de la confusion. D'autres diront de cette mise en scène épistolaire qu'elle confond de manière éhontée la triple instance du "je" : le "je" de l'auteur, le "je" du narrateur et le "je" du personnage. Entre le "projet Mazarin" (1995) et la "diatribe La Fayette" (2008), Sarkozy, non seulement aurait abimé la fonction présidentielle mais aussi détraqué le statut de la parole politique. En affirmant qu'il n'écrit pas ses propres discours, en révélant celui qui demeure habituellement caché, le "nègre", son rédacteur Henri Guaino, Sarkozy est le premier président français à mettre en avant sa "plume". Irrespectueux de tout, polémique pour rien, Sarkozy l'impudique, plonge les analystes dans un abîme de confusion : "Ce qu’il y a de difficile pour le linguiste, avec Sarkozy, c’est qu’il n’a pas de discours propre, il n’a que ceux des autres." ou encore "Les mots qu'il prononce ne lui appartiennent pas." avance le linguiste Louis-Jean Calvet. "Quel est cet autre qui parle en moi ?" pourrait-on lui demander. En guise de réponse, René Char, dans Les Chants de la Balandrane écrivait "Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux."
 
Lors de son allocution du 11 avril 2012 pour l'inauguration du Palais de Tokyo, entouré de son ministre de la culture Frédéric Mitterrand et du nouveau directeur du musée Jean de Loisy, le président adepte du ready-made politique, s'extasie et s'épanche. A propos de l'œuvre Père Lachaise (2011) de Maxime Rossi, Nicolas Sarkozy exalté, s'exclame : "Il y a une liberté exceptionnelle dans ce que l'on voit là (... par exemple n.d.a.) les tableaux peints par les arbres et pas n'importe quel arbre, l'arbre qui veille sur la tombe de Chopin. Et tout d'un coup, on s'est souvenu que c'est un être vivant, qu'il suffisait de lui mettre des pinceaux, faire confiance au vent et que cet arbre avait du talent et l'artiste en a eu tellement d'avoir cette idée."
 

 
On a dit de ce président tout aussi amateur du cinéma de Carl Dreyer que de celui de Borat Sagdiyev, qu'il était bling-bling, anecdotique, le renvoyant aux calendes de l'art décoratif. CONCEPTUAL DECORATION, comme l'affirme l'œuvre en lés de papiers peints de Stefan Brüggemann (montrée en France par Yvon Lambert), répétitive, minimaliste et hypnotique. Lors du débat présidentiel du 2 mai 2012, face à François Hollande, le candidat président déclame de manière tautologique : "La meilleure économie d'énergie, c'est l'économie d'énergie." Avec Nicolas Sarkozy ne s'agirait-il pas avant tout de faire œuvre de "décoration conceptuelle" ?
 

Conceptual Decoration - Stefan Brüggemann (2009)
 

Stefan Brüggemann (2012)
 
Printemps  2008, le 27 mars, alors que les bourgeons sommeillent et rêvent de fleurs, les oiseaux chantent dans les arbres. A la Tate Modern, on s'apprête à recevoir le couple présidentiel français au sortir d'un déjeuner privé avec la Reine Élisabeth. Carla Bruni souhaite faire visiter l'exposition consacrée à Marcel Duchamp à son mari. L'artiste est né en Normandie et décédé à Neuilly-sur-Seine, ville dont Nicolas Sarkozy fut maire pendant près de vingt ans. Enterré au cimetière de Rouen, on peut lire sur sa tombe l'une des plus extraordinaires épitaphes qui soit:

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"D’AILLEURS,
C'EST TOUJOURS LES AUTRES
QUI MEURENT"
MARCEL DUCHAMP 1887-1968
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Mais avant d'être mort, Duchamp était encore vivant. Dès 1914, il s'exile à New-York. Naturalisé américain en 1955, l'artiste est en réalité plus outre-Atlantique que français. En France, cette même année 1914 trône fièrement sur tous les monuments, cénotaphes et mémoriaux et signe l'irrémédiable déclin d'une nation. 1914, la Mort d'une nation ? Un an plus tard, aux États-Unis, en 1915 sort sur les écrans le film de D. W. Griffith, The Birth of a Nation - Naissance d'une Nation. Marcel Duchamp a-t-il vu les aventures cinématographiques de ces chevaliers fous et masqués, déguisés d'une longue robe blanche surmontée d'un chapeau pointu ?
 
Carla Bruni presse son mari d'aller rendre hommage au pape et pionnier de l'art conceptuel. Le protocole français et la garde rapprochée sont réticents. Les services secrets anglais également. La visite n'aura donc pas lieu. Le président et son épouse ne pourront se recueillir devant ces œuvres de bronze et de plastique : Feuille de vigne femelle (1950), Objet-dard (1951) et Coin de chasteté (1954). Nicolas Sarkozy ignorerait-il tout ce qu'il doit à Marcel Duchamp, ce deuxième fantôme de Neuilly après Human Bomb ?


Objet-dard - Marcel Duchamp (1951)
 
Dans le film "Hommage à Varese" (1966), Luc Ferrari s'entretient avec Marcel Duchamp au sujet de son ami Edgar Varese, français comme lui, émigré new-yorkais (1915), comme lui naturalisé américain (dès 1927) : "Varese et vous même, avez ouvert les portes de l'impossible. J'ai un ami qui a dit un jour de vous, que grâce à Marcel Duchamp, tout était possible." Le sourire de Duchamp se transforme en rire. L'adage napoléonien, "Impossible n'est pas français", semble bien lointain. Comment comprendre autrement l'exil américain de Varese et Duchamp : la France impossible ? Que signifie dès le début du XXème siècle, la naturalisation américaine de l'avant-garde française ?
 
En 2007, le slogan du candidat à l'élection présidentielle Nicolas Sarkozy, dit aux français qu'"Ensemble, tout devient possible". Le possible a-t-il fuit vaincu, vers la bannière étoilée ? Grâce à Marcel Duchamp, tout était possible... Ensemble, tout devient possible. Plagiat anecdotique ou coïncidence historique ? Ironie de l'histoire, "L’Histoire est une autre histoire", a dit un jour Marcel Duchamp.


Nota : "Les Lettres de mon Château" originellement publiées du 24 juillet au 26 août 1995 dans les Échos étaient disponibles sur le site internet du Nouvel Observateur, hebdomadaire qui pour d'obscures raisons en a caché l'accès. Les 24 lettres sont désormais téléchargeables sur le site de ParisLike.
 
01_De François Mitterrand à Jacques Chirac
02_De Jacques Chirac à François Mitterrand
03_De Line Renaud à Jacques Chirac (réponse de Christine Albanel)
04_De Jacques Chirac à Jean Tibéri (et réponse)
05_De Line Renaud à Jacques Chirac (et réponse)
06_De Jacques Chirac à Charles Pasqua (et réponse)
07_De Omar Bongo à Jacques Chirac
08_De Jacques Chirac à Philippe Séguin (et réponse)
09_De l'Amiral Lanxade (chef d'état-major des armées à Jacques Chirac)
10_De Jacques Chirac : Note à Jacques Pilhan et Claude Chirac
11_De François Mitterrand à Jacques Toubon
12_De Valéry Giscard d'Estaing à Jacques Chirac
13_De Marc Blondel à Jacques Chirac
14_De Jacques Chirac à Édouard Balladur (et réponse)
15_De Brice Lalonde à Jacques Chirac (et réponse)
16_De Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy (et réponse)
17_De Patrick Bruel à Philippe Douste-Blazy (et réponse)
18_De Jean-Claude Trichet à Alain Madelin (et réponse)
19_De François Bayrou à Jacques Chirac
20_De Jacques Chirac à Bill Clinton
21_De Denis Tillinac à Jacques Chirac
22_De Michel Rocard à Jacques Chirac
23_De Jacques Chirac à Jean-Louis Debré (et réponse)
24_ De Jacques Chirac au Général de Gaulle
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