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« Quand j’écrase une mouche, il est bien clair que je n’ai pas tué la chose en soi, mais seulement son phénomène. »
Schopenhauer - Parerga - 1851
 

Un jour d'hiver, lors d'une visite du musée Ludwig Forum d'Aix-la-Chapelle, je découvris une mouche immobile posée à même la surface d'un tableau de Winfried Gaul. La mouche était bel et bien réelle, la peinture également. L'insecte constitué d'un corps poilu et d'un esprit, d'ailes et d'antennes, était figé sur Tag und Nacht (1966). La peinture géométrique était accrochée à 45 degrés et consistait en une succession de quatre polygones de couleur rouge, blanche, verte et violette.
 

image et suivantes : Tag und Nacht - Winfried Gaul (1966)
 
La mouche était stratégiquement située à l'extrémité de l'angle rouge et du liseré blanc. En me rapprochant, je pus voir la lumière écarlate filtrer à travers la membrane transparente des ailes de l'insecte.
 
Qu'étais-je alors en train de regarder ? Une œuvre de Winfried Gaul ou bien une installation éphémère et improbable dont le titre aurait pu être : "Mouche sur Tag und Nacht" - "Fliege auf Tag und Nacht" ? J'observais la mouche dans sa sereine immobilité apprécier le minimalisme géométrique allemand. Mouche figurative sur peinture abstraite. A cet instant, une anecdote de Vasari me revint en mémoire.
 

 
« On rapporte que Giotto, dans sa jeunesse, peignit un jour d'une manière si frappante une mouche sur le nez d'une figure commencée par Cimabue que ce maître, en se remettant à son travail, essaya plusieurs fois de la chasser avec la main avant de s'apercevoir de sa méprise. »
 
— Giorgio Vasari, Le Vite / Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (éditions Filippo et Iacopo Giunti, 1568)
 

 
Plus de 400 ans après Giorgio Vasari, Daniel Arasse élucida l'illusion magique de Giotto :
 
« Concluant le récit héroïque de la révolution giottesque, le détail condense le progrès de la peinture : cette mouche peinte est l'emblème de la maîtrise nouvelle des moyens de la représentation mimétique, comme si la conquête de la vérité en peinture était passée par celle de son détail ressemblant.(...) On peut être certain que Giotto n'a jamais peint une telle mouche; la pratique n'était pas de son temps, et Vasari, évidemment, le savait. Mais, au moment où il écrit "Les Vies", au milieu du XVIe siècle, la mouche était un motif pictural qui avait connu un bon succès entre la moitié du Quattrocento et le début du XVIe siècle. On la retrouve en de nombreux exemplaires : qu'elle soit intégrée à la composition, peinte sur le rebord de l'image ou comme posée à même la surface du tableau, ou encore que ces dispositifs se combinent, la liste des mouches peintes est loin d'être close. »
 
— Daniel Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture (éditions Flammarion, 1992)
 

 
Tag und Nacht I de Winfried Gaul (1966)
(PVA/Leinwand - Privatbesitz, Düsseldorf)
Œuvre montrée à l'exposition "Nie wieder störungsfrei!"
AACHEN AVANTGARDE SEIT 1964
L'AVANT-GARDE À AIX-LA-CHAPELLE DEPUIS 1964
Ludwig Forum für Internationale Kunst (22 oct. 2011 au 05 fév. 2012)