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Le 1er janvier 1672, parait le premier numéro de la revue
Le Mercure Galant ou
Le Mercure Galant contenant plusieurs histoires véritables, et tout ce qui s'est passé depuis le premier Janvier 1672, jusques au Départ du Roy. En 1724,
Le Mercure Galant est rebaptisé
Le Mercure de France.
Le 17 mars 1916, durant la première guerre mondiale, sur la ligne de front, dans une tranchée française, Guillaume Apollinaire lit un article de Walt Whitman sur Edgar Poe dans le n°426 du
Mercure de France daté de la veille. Ainsi parlait le poète américain :
"Une fois, dans un rêve, j'ai vu un bateau sur la mer, à minuit, par la tempête (...) voiles arrachées et vergues brisées, à travers l'averse furieuse et les vents et les vagues de la nuit. Sur le pont une silhouette mince, élancée, belle, celle d'un homme sombre, qui paraissait trouver sa joie dans la terreur, les ténèbres et la destruction dont il était le centre et la victime. Ce personnage de mon rêve macabre pourrait représenter Edgar Poe, son esprit, sa fortune et ses poèmes eux-mêmes de macabres rêves." Un projectile ennemi file dans le ciel, décrit une courbe et redescend droit dans la tranchée. La rêverie nocturne de Walt Whitman s'efface dans le vacarme assourdissant d'une déflagration. Du sang, des éclats d'os et de cerveau giclent sur la revue. Guillaume Apollinaire est blessé à la tête par un éclat d'obus allemand. Le poète-soldat portait-il son casque d'acier lors de l'explosion ? Le casque ailé de Mercure, emblème de la maison d'édition aurait-il pu sauver l'auteur du
Poète assassiné ? Plongeant l'index dans la texture gélatineuse de son système nerveux, Apollinaire porta son doigt aux lèvres et s'écria :
« Quel goût... quel goût étrange que... l'âme ». Puis, il s'évanouit. Évacué à Paris, il est trépané le 10 mai 1916.
En hommage au poète, les éditions
Mercure de France créent en 2002 une collection intitulée :
"Le goût de". Fascinés par l'ordre alphabétique et plus particulièrement par la lettre B qui suit de si près le A d'Apollinaire, on peut citer parmi les ouvrages parus :
Le goût de Bali, Le goût de Barcelone, Le goût de Belgrade, de Berlin, de Beyrouth, de la Birmanie, de Bordeaux, de la Bretagne, de Bruxelles, de Bucarest, de Budapest et de Buenos Aires... Sont-ce des guides de voyage ? Nullement. Derrière l'esthétique de carte postale et carton-pâte des couvertures, ne se cache que de la Littérature, la Grande, avec un grand "L" et trois petits "T" touristiques, liTTéraTure.
Le 11 octobre 2012, le Mercure de France fait paraitre l'ouvrage collectif
"Le goût de la Suisse". De quoi se faire retourner dans leurs tombes, Saint Eloi et Saint Mathieu, patrons des horlogers, des banquiers et des comptables. Et de leurs voix sépulcrales on entend s'exhaler leurs paroles : –
Oh toi Holy Ghost, Fantôme sacré et Saint-Esprit dis-nous : " N'y a-t-il plus de valeur qui ne soit boursière ? Plus de paradis qui ne soit fiscal ? Plus de spéculation que financière et de liberté que libérale ?"
"Le goût de la Suisse" offre entre autres des textes de Goethe et Hugo, Louis Aragon et Lord Byron, Blaise Cendrars et Jules César sur le paradis helvète. Laissons à l'éditeur la tâche de présenter l'ouvrage :
"Le 26 février 1767, on peut lire, sous la plume de Voltaire, dans une lettre adressée à l'avocat général James Marriott : «La moitié de la Suisse est l'enfer, et l'autre moitié est le paradis». Relations de voyages, aventures glaciologiques et alpestres, récits de la conquête des sommets, rencontres insolites, histoires pittoresques, critiques pleines d'humour d'une nation pas aussi simple qu'elle en a l'air : entre regards bienveillants et plumes acérées, le chaudron helvète fait bouillir le monde des lettres depuis plusieurs siècles." L'ébullition des lettres helvètes rappelle d'autres frissons.
Peu avant la guerre, l'auteur des
Onze Mille Verges fait paraitre dans la
"Collection des Classiques Galants" l'œuvre du Marquis de Sade. Les
120 journées de Sodome ne figurent pas dans la collection mais si elles y eussent figurées voilà ce qu'on aurait pu lire parmi "Les cent cinquante passions meurtrières, ou de quatrième classe" :
Une cloche de fer rouge lui sert de bonnet sans appuyer, de manière que sa cervelle fond lentement et que sa tête grille en détail". Bombardement dans le ciel, explosion d'obus, éclats incandescents, le fer et la poudre pénétrant le cerveau. Trépané, affaibli par sa blessure, le poète décède de la grippe espagnole le 9 novembre 1918. Il est enterré le jour de l'armistice. Au passage de son cercueil, la légende raconte que les parisiens éructant de joie, crient
« À mort Guillaume ! ». Quelle est cette ire funeste du peuple de Paris contre la poésie, d'obscène métaphore telle la fleur au fusil ?
« À mort Guillaume ! » Pourquoi crier à mort au mort ? Pour le ressusciter ? Dada est né.
« À mort Guillaume ! » Est-ce seulement Guillaume l'Apollinairien, Orphique et Apollinien, demi-frère du grec Hermès, Mercure romain ... de France ? En vérité, l'exhortation au meurtre,
« À mort Guillaume ! » a pour objet direct un autre Guillaume, non pas l'Apollinaire, né Wilhelm Albert Włodzimierz Apolinary de Kostrowicki mais Frédéric Guillaume Victor Albert de Hohenzollern, Guillaume II, empereur d'Allemagne et dernier roi de Prusse.
Puis le convoi funèbre continue son chemin vers l'ultime demeure du poète, une tombe bientôt surmontée d'un menhir funèbre conçu par Picasso. Sur la pierre tombale, on peut lire un calligramme en forme de cœur de tessons de verre :
"mon cœur pareil à une flamme renversée". Le recueil
Calligrammes, sous-titré
Poèmes de la paix et de la guerre parait la même année 1918, publié aux éditions... Mercure de France.
"mon cœur pareil à une flamme renversée"
La flamme perpétuelle sous l'Arc de Triomphe
Le 11 novembre, à 6 heures du soir, le ministre de la Guerre, M. Maginot, allume
(à l'aide d'un tampon d'étoupe au bout d'un fleuret) la flamme qui ne doit plus s'éteindre.
Photo J. Clair-Guyot (L'Illustration, 17 novembre 1923)