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"Aucune proposition empirique n’est absolument certaine. Seules les tautologies sont certaines."
A. J. Ayer, Language, Truth and Logic, 1936
 
Une légende urbaine — mais est-ce véritablement une légende ? —  raconte qu'en Italie, la Mafia contrôlait certaines commissions d'enquête anti-mafia. Cela n'est pas sans rappeler le paradoxe du menteur tel qu'Épiménide l'exprimait, rapporté dans l'Épître à Tite : "Quelqu'un d'entre eux [les Crétois], leur propre prophète [Épiménide le Crétois], a dit : 'Les Crétois sont toujours menteurs, de méchantes bêtes, des ventres paresseux.' "
(I, 12)
 
Plus de 2500 ans après Épiménide, le paradoxe du menteur ("Tous les Crétois sont des menteurs") semble toujours autant d'actualité quand la politique défie les lois de la logique. Ainsi le 2 avril 2013, Jérôme Cahuzac, ministre démissionnaire, ministre délégué au Budget, membre titulaire du Conseil d'orientation des finances publiques, reconnait sur son site internet www.jerome-cahuzac.com, sa culpabilité pour fraude fiscale. Il admet aussi implicitement avoir menti à un certain nombre de personnes. Sans exhaustivité, on pourrait citer : "le Président de la République, le Premier Ministre, ses anciens collègues du gouvernement, ses collègues parlementaires, ses électeurs, les Françaises et les Français." Rappelons que l'ex-ministre au Budget fut également pendant deux ans, Président de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire à l'Assemblée Nationale.
 

[Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget durant sa conférence de presse annonçant le plan gouvernemental de lutte contre la fraude fiscale, Nanterre, 20 novembre 2012. photo © Citizen Side]
    
["J’ai mené une lutte intérieure taraudante..." - Déclaration de Jérôme Cahuzac, 2 avril 2013 - www.jerome-cahuzac.com]

Précédant son aveu final, les dénégations de celui qui était encore ministre furent nombreuses. En voici quelques unes égrenées ici ou là au fil de ses posts Twitter :
 
4 Déc. 2012 : "Je ne sais pas de quoi il est question. Je n'ai jamais eu de compte en Suisse ou ailleurs. C'est ahurissant 1/2"
 
4 Déc. 2012 : "Je poursuivrai tous ceux qui reprendront cette calomnie gravement diffamatoire et qui porte atteinte à mon honneur. Y compris ici ! 2/2"
 
11 Déc. 2012 : "Tenter de me salir ne prouvera pas ce qui n'existe pas. La justice est saisie. #determination #integrite #interetgeneral"
 

[Jérôme Cahuzac à l'Assemblée Nationale - photo © Reuters - Charles Platiau]

Le 5 décembre 2012, Jérôme Cahuzac face aux parlementaires, s'exclame: «Je démens catégoriquement les allégations. Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger. Ni maintenant, ni avant.»
 
De telles énormités révèlent le gouffre qui sépare l'art, de la politique tel que nous le rappelle Federico Fellini quant il disait de lui-même : "Je suis un grand menteur" ou encore "Pour moi, les choses les plus vraies sont celles que j'ai inventées."
 
On pourrait aussi évoquer un film bien connu des origines du cinématographe : L'arroseur arrosé de Louis Lumière (1895). Pareil titre nous mettrait sur la piste de la tautologie comme expression artistique. Ainsi Joseph Kosuth la définit dans L'art après la philosophie (1969) : "Une œuvre d'art est une tautologie dans la mesure où c'est une présentation de l'intention de l'artiste, car il est en train de dire que cette œuvre d'art particulière est de l'art, ce qui signifie que c'est une définition de l'art."
 
Jérôme Cahuzac, fraudeur fiscal protège donc le pays contre la fraude fiscale. Car qui mieux qu'un Crétois peut affirmer que tous les crétois sont menteurs ? Qui mieux qu'un fraudeur peut déceler la fraude ?
 

Titled (Art as Idea as Idea) [Nothing] - Joseph Kosuth, 1968
 

Titled (Art as Idea as Idea) [Value] - Joseph Kosuth, 1968
 

Titled (Art as Idea as Idea) [Blank] - Joseph Kosuth, 1968 -
Photography laminated wood panel - Almine Rech Gallery, Paris


[Jérôme Cahuzac - Paris, le 10 novembre 2012 - Libération - Photo Samuel Kirszenbaum]
 
"L'une des leçons à considérer concernant l'art de notre siècle, comme le montre l'œuvre de Klein, réside dans le fait que si l'art est un jeu, il s'agit alors de créer les règles, non de les suivre."
Joseph Kosuth sur Yves Klein (1982)