METAL MENTAL
de Johann Peeters
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Figure à la fois pionnière, underground et avant-gardiste du rock Heavy Metal, Supreme Death est de retour après plus de 25 ans de silence et de bataille juridique. Moins connu du grand public que des groupes tels qu'Iron Maiden ou Metallica, Supreme Death est une formation néo-zélandaise créée en 1968. Émigré en Australie puis au Royaume Uni, Supreme Death n'a cessé d'exercer une influence sensible sur l'immense variété des sous-genres Heavy Metal, du black metal au doom metal, du trash metal au metal core, du death 'n' roll au glam, groove, gothic metal du néo-classique, symphonique, speed, stoner au post, power metal. Dans une interview à Playboy Magazine (oct. 2008), Alfredo Dickinson, chanteur et bassiste du groupe, revient sur la diversité des genres métaux. "Toute cette multiplicité des éléments chimiques Metal est une imposture pour midinettes ou rockers geek. Car ce qui compte à la fin c'est que le Rock soit Hard, le Metal, Heavy, et les amplis, destructifs." Si le ton est vaguement démagogique voire tautologique, il ne saurait néanmoins cacher l'enfer judiciaire dans lequel le groupe a été plongé pendant de si longues années.



Veterans Memorial Auditorium de Des Moines, Iowa
 
Rappelez-vous. Le 24 décembre 1978. Le tristement célèbre concert au Veterans Memorial Auditorium de Des Moines dans l'Iowa, en plein traumatisme post-vietnamien. La polémique créée par Alfredo Dickinson et le procès qui s'ensuivit, précédèrent de quelques années l'infâme accident d'Ozzie Osbourne, the Prince of Darkness du groupe Black Sabbath. En 1982, lors d'un concert dans la capitale du Middle West, un fan lança sur scène une chauve-souris. Ozzie s'en saisit et maintint grimaçant le mammifère volant entre ses dents. Puis brutalement sa mâchoire se referma et arracha la tête de l'animal. D'après certains, la chauve-souris était en caoutchouc ; d'autres affirment qu'effrayée, elle mordit la première le chanteur qui de toute urgence dut se faire vacciner contre la rage. Légende urbaine ou récit véridique, l'incident contribua à forger la réputation et le mythe de Black Sabbath.


Ozzie Osbourne et la chauve-souris (1982)
 
A contrario, l'infamie de Supreme Death plongea le groupe en Enfer. En 1978, lors d'un concert dans la capitale du Middle West, un fan lança sur scène une colombe. Alfredo s'en saisit et maintint grimaçant l'oiseau d'amour et de paix entre ses dents. Puis brutalement sa mâchoire se referma et arracha la tête de l'animal. Selon les versions, Alfredo pensa qu'il s'agissait d'une colombe en caoutchouc. Fausse colombe, créature empaillée ou véritable oiseau, les avis divergent. Précédant Ozzie Osbourne, Alfredo Dickinson, telle une playmate voluptueusement allongée sur un divan effeuilla ses souvenirs et s'épancha dans les pages de Playboy Magazine :
 
"Immédiatement, cependant, je sentis qu'une catastrophe était sur le point d'arriver. Quelque chose de dramatique. Ma bouche se remplit instantanément d'un liquide chaud et gluant, avec le pire arrière-goût inimaginable. Je pouvais sentir le liquide colorer mes dents et couler le long de mon menton. Puis, la tête dans ma bouche tressaillit."


 
L'incident plongea le public dans la plus abyssale consternation. Les ligues de protection de la nature se portèrent partie civile et attaquèrent en justice le groupe.
 
Le procès surnommé "Dead Dove vs. Supreme Death" dura de nombreuses années. Puis d'autres scandales psychotropes et sexuels émaillèrent la carrière du groupe dont les nouveaux disques parurent de manière de plus en plus intermittente jusqu'à ce jour, avec le tant attendu : "Take My Head Away".
 
Titre éminemment provocateur, "Take My Head Away" rappelle à la fois combien l'ombre menaçante de la colombe continue à planer sur le destin du groupe et combien la tête d'Alfredo fut elle-même mise à prix par toutes les ligues de vertus. Pour reprendre le titre du célèbre film de Sam Peckinpah, d'aucuns n'ont eu de cesse de s'écrier : "Bring Me the Head of Alfredo Dickinson" - "Apportez moi la tête d'Alfredo Dickinson".
 
Album concept, "Take My Head Away" n'est constitué que de trois longues chansons implacablement optimistes, d'une durée chacune de 26 minutes, dont "Death Is Killing Me" et "I Believe I Can Die". Avec cet album inspiré, quintessenciel du Heavy Metal et néanmoins à mille lieues du mauvais goût métallo, convenu, white trash, d'outre-tombe en carton-pâte et de fête foraine mortuaire, Supreme Death renoue avec ses origines avant-gardistes dont les sonorités évoqueraient moins les riffs graisseux de groupes tels que Grave Digger ou Judas Priest que la violence noise ou bruitiste d'un John Zorn ou la furie à pales d'un Karlheinz Stockhausen dans Helikopter-Streichquartett (Quatuor à cordes Hélicoptère, 1995).



Karlheinz Stockhausen - Quatuor à cordes Hélicoptère - Festival de Salzburg, 2003

La troisième chanson s'intitule sobrement Let It Die. Formation honnie d'Alfredo Dickinson, les Beatles continuent d'incarner pour Supreme Death l'apogée bête et béate de la pop. "Le flower power, en partie, n'était qu'une idéologie petite bourgeoise et convenue pour frustrés insipides et fanatiques des bons sentiments. Ces adeptes arriérés du bon, du bien, du beau, n'ont jamais rien compris à rien. Car les fleurs sont aujourd'hui ou vénéneuses ou fanées et les muses corrompues." se plait-il à rappeler. Ainsi éructe en boucles l'irrécupérable chanteur tel un vieux vinyle rayé.
 
When I find myself in times of despair,
Mother Death comes to me,
Speaking words of suicide,
Let it die.
 
Les amateurs apprécieront. De manière plus anecdotique, on remarquera enfin que la pochette de l'album "Take My Head Away" est issue d'une œuvre du célèbre peintre vénitien Cima da Conegliano ("Jonathan et David avec la tête de Goliath", 1505-1510). La tête tranchée du philistin Goliath n'est d'ailleurs pas sans rappeler le visage hirsute, enragé et aujourd'hui quelque peu bouffi d'Alfredo Dickinson.